La Chine, archétype du pays contrefacteur. Cette image d’Epinal, fortement ancrée dans nos mentalités européennes, se vérifie aisément quand on consulte les chiffres des saisies douanières fournies chaque année par la Commission européenne. Toutefois, deux données essentielles sont à prendre en compte, venant quelque peu mettre à mal ce cliché. Premièrement, la Chine s’est dotée, depuis la mort de Mao Zedong et l’accession au pouvoir de Deng Xiaoping, d’un arsenal juridique et règlementaire complet visant à réprimer les atteintes à la propriété intellectuelle. En second lieu, via le projet des Nouvelles Routes de la Soie (« 一带一路 »), les nouvelles habitudes des consommateurs chinois (Aliexpress, etc.) et le développement d’une industrie de pointe (Huawei, etc.) la Chine souffre elle-même de la contrefaçon au sein de son propre territoire. L’arroseur arrosé en quelque sorte.
La thèse de doctorat que j’ai soutenue en décembre 2022, avec pour titre « La lutte douanière contre la contrefaçon – Etude comparée sino-française » s’est ainsi attachée à comparer les systèmes juridiques français et chinois eu égard à l’efficacité de la protection de la propriété intellectuelle, via un dénominateur commun : la lutte douanière contre la contrefaçon, que l’on peut aisément qualifier de convergente et d’intégrée. Toutefois, d’importantes différences culturelles viennent nous rappeler qu’un dialogue entre Orient et Occident reste, en la matière, jalonné d’embûches.
Si la lutte douanière sino-française contre la contrefaçon peut être qualifiée de convergente, c’est bel et bien car les systèmes juridiques ont adopté les mêmes normes en matière de protection de la propriété intellectuelle. La comparaison de la jurisprudence nous révèle les mêmes impératifs de sauvegarde des intérêts juridiques mais également, du côté chinois, de la santé des consommateurs (les auteurs d’un trafic de cigarettes contrefaisant un droit de marque ont par exemple été punis de la peine de mort par la Cour Supreme Chinoise). La Chine et la France ont ainsi mis en place un cadre juridique homogène concernant l’appréhension douanière du trafic de marchandises contrefaites.
Le qualificatif d’intégré est également tout à fait approprié à ladite lutte, au vu de l’appartenance des deux pays aux instances internationales majeures concernées (OMPI, OMC, OMD) et de la ratification des accords internationaux concernant la propriété intellectuelle et le droit douanier, à l’instar de l’Arrangement de Madrid, de la Convention de Berne ou encore de la Convention sur le Trafic International Routier. Une réelle collaboration bicéphale de lutte contre la contrefaçon ne semble pas non plus relever du fantasme, si l’on prend en compte le comité mixte de coopération douanière sino-européen, les accords de coopération entre la France et la Chine, la tenue annuelle de commissions franco-chinoises, ou encore les signatures de protocoles de reconnaissance mutuelle d’appellations géographiques alimentaires.
Mais les vicissitudes des particularismes culturels continuent de rendre le dialogue délicat. L’appréhension culturelle de la propriété intellectuelle en Chine est bien différente de la vision occidentale : la copie est perçue comme une marque d’honneur et de respect de l’œuvre d’origine, vision héritée des valeurs confucéennes. Si on ne dépose pas sa marque en sinogrammes auprès des administrations chinoises, des personnes mal intentionnées peuvent le faire à votre place, et exploiter votre marque en toute impunité : c’est le cauchemar qu’a vécu le groupe Castel Frères, en s’opposant au dépôt par un tiers de la traduction «卡撕特 ». De plus, le trafic de contrefaçons constitue une part majeure de l’économie chinoise : des villes entières, comme Yiwu, vivent des bénéfices générés par de tels trafics, tandis que la pègre injecte des capitaux dans les usines productrices de contrefaçons du Guangdong et de Fujian.
En dépit de ces derniers faits, établir une réelle codécision franco-sino-européenne, du fait du caractère convergent et intégré de la lutte douanière contre le trafic de marchandises contrefaites, nous donne, loin du fantasme et des clichés, de solides raisons d’espérer ; cela notamment en envisageant, pour le futur, l’exploitation de nouvelles technologies, telles que la blockchain, afin de pouvoir réguler, voire endiguer ledit trafic. Comme le rappelle à juste titre un célèbre proverbe chinois, « 风向转变时,有人筑墙,有人造风车 » « quand souffle un vent nouveau, certains érigent des murs, d’autres construisent des moulins à vent ».
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